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Nés leaders ou formés à le devenir ? La science nuance un faux dilemme

La tentation est grande d’opposer “charisme inné” et “compétences acquises”. Mais la recherche contemporaine raconte une histoire plus subtile : une part d’aptitudes prédisposées, un poids décisif des expériences, et des attentes culturelles qui redessinent, selon les contextes, la figure du “bon” chef. Dans les entreprises, la question n’est plus de trancher, mais d’organiser l’apprentissage… sans céder au mythe du “talent qui ferait tout”.


Ce que disent les données : un héritage… et beaucoup de vécu

Au tournant des années 2000, des travaux sur jumeaux ont montré qu’une fraction non négligeable de l’accès à des rôles de leadership s’explique par des facteurs héréditaires — autour d’un tiers de la variance dans certaines études. Cela ne signifie pas qu’on naît “chef” ou “non-chef”, mais que certains traits (sociabilité, aisance, appétence pour la prise d’initiative) créent un terrain favorable. Le reste se joue dans la biographie : contextes familiaux et, surtout, expériences professionnelles structurantes. Autrement dit, l’ascenseur de la responsabilité se prend moins par naissance que par situations qui forment.

La personnalité compte, mais pas n’importe comment. Une vaste méta-analyse a relié le modèle des “Big Five” à l’émergence ou à l’efficacité perçue des leaders : extraversion, conscience (rigueur), et ouverture s’associent positivement ; névrosisme (instabilité émotionnelle) négativement. Des corrélations robustes, mais modestes : elles ne déterminent pas un destin ; elles rendent seulement plus probable l’adoption — et l’acceptation — d’un rôle d’influence.

Former un leader : efficacité prouvée, conditions à soigner

L’autre pan des résultats est moins médiatisé : les formations au leadership fonctionnent — à condition d’être bien conçues. Les synthèses scientifiques récentes concluent à des effets significatifs sur les connaissances, les comportements, et, plus modestement, sur les résultats opérationnels. Les programmes les plus efficaces combinent exposés courts, mise en pratique (jeux de rôle, simulations) et retours structurés dans la durée. Là encore, pas de baguette magique : l’environnement (feedback réel, soutien du N+1, marge d’essai-erreur) fait la différence entre concepts digérés et gestes durables.

Le regard des cultures : un “bon” leader n’a pas le même visage partout

Les grandes enquêtes internationales (projet GLOBE) ont documenté un fait dérangeant pour les grilles universelles : les qualités valorisées varient selon les normes et les attentes nationales. La vision “charismatique et décisive” peut, ailleurs, laisser place à l’humilité, à la diplomatie ou à la capacité d’intégration. Plutôt que d’exporter un modèle unique, les organisations globales apprennent à traduire : mêmes principes, formes locales. Ce relativisme pragmatique explique certaines incompréhensions dans les entreprises transnationales… et quelques échecs d’expatriation.

Dans l’entreprise : des trajectoires plus composites que les récits

Les parcours de dirigeants racontés après coup exaltent volontiers la “vocation”. La réalité est plus prosaïque : opportunités saisies, parrainages, passages par des situations “tests” (crise, intégration d’équipe, ouverture de site), erreurs réparées. Les directions des ressources humaines, elles, voient surtout un enjeu d’orchestration : identifier tôt des moments d’apprentissage, offrir des expositions progressives (projets transverses, management de non-experts), et sécuriser la marche (retours explicites, droit à l’essai). La ligne de crête est connue : ne pas confondre performance individuelle et aptitude à entraîner — un “super-contributeur” peut devenir un mauvais manager s’il est promu sans accompagnement.

Ce que change la “preuve” scientifique dans le débat public

Affirmer que “le leadership s’apprend” n’implique pas d’ignorer les dispositions ; rappeler qu’une part est héritée n’autorise pas, inversement, la résignation. Les études de jumeaux décrivent des probabilités, pas des fatalités ; les méta-analyses sur la formation montrent des moyennes, pas des garanties. Entre les deux, la pratique tranche : des cadres réputés “introvertis” réussissent, dans des contextes où l’écoute prime ; des profils extravertis échouent là où la complexité exige de la lenteur. Le leadership n’est pas un costume : c’est un ajustement entre individus, situations et cultures — une forme de craft, au sens artisanal.

Une question politique : qui a le droit d’apprendre à diriger ?

Reste l’angle mort : l’accès aux expériences qui forment. Si l’on admet que l’occupation de rôles d’encadrement tient autant à la biographie qu’aux aptitudes, il faut regarder qui bénéficie des terrains d’essai (projets visibles, budgets, mandats internationaux) et qui en est privé. La “démocratisation” du leadership n’est pas un slogan ; c’est une politique d’affectation des missions, de mentorat et de parrainage — un sujet d’égalité des chances plus que de psychologie individuelle.

Un débat ancien, des réponses situées

Les synthèses destinées au grand public le disent désormais sans détour : les deux dimensions coexistent — terrain disposé et apprentissages — et s’additionnent mieux qu’elles ne s’opposent. L’essentiel, pour l’entreprise comme pour l’école, est de mettre en place des dispositifs crédibles : séquences de pratique, feedbacks francs, modèles divers de réussite. C’est ce que rappellent, à leur manière, les ressources consacrées à la question : ni fétichisme du “charisme naturel”, ni pédagogie hors-sol, mais une éthique de la progression.


Au fond, la question “naît-on leader ?” est moins décisive que celle-ci : à quelles conditions sociales et organisationnelles permet-on à chacun de le devenir, selon sa manière, là où il est le plus utile ? La tradition voudrait une réponse tranchée. L’époque, plus modeste, préfère la nuance — et les preuves.

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